Journée un peu spéciale aujourd’hui. Alors qu’il n’y a plus en France de soldats survivants de la première Guerre Mondiale, cette commémoration 2008 de l’Armistice me semble sonner la fin d’une époque. Les discussions sur le nombre de journées de commémoration donnent d’ailleurs le ton : on s’éloigne de 1914-18 et il est peut-être temps de voir plus large, de commémorer en une même journée tous les morts des barbaries guerrières.

Alors ce jour-là, chacun se souviendra des siens :

Capitaine adjudant major d’une grande bravoure. Au cours de l’attaque du 29 octobre 1918, s’est porté en avant en suivant immédiatement la première vague d’assaut. Reconnaissant la position conquise, sans se soucier du danger, sur un glacis violemment battu par les mitrailleuses ennemies restées en action sur les flancs a été mortellement atteint par une balle. [1]

Tout cela paraît beau et héroïque. Après, il fallait bien avertir la famille :

Le 30 – 10 – 18

Monsieur Madame
C’est avec la douleur la
plus cruel que je viens
vous apprendre la mort
glorieuse de votre fils
Capitaine Bourbon
tombé mortellement
blessé dans mes bras
à mes cotés
Je lui ait fait tout
ce que j’ai pu mais
une emoragie interne
la etouffé

J’ai en ma possession
toutes ses affaires appareils
photo jumelle, porte monnaie
couteau et tout le
nécessaire à toilette
plus tout le linge qui
est dans la cantine.
Sitôt que je pourrai
je vous expedierai le tout
sitôt aussi que je connaitrai
l’endroit où il serat
inhumé je vous le ferez savoir
quelle perte tous les soldats
le pleure

Soyez bien persuadés que je
prend part à votre plus grande
douleur. Je n’écrit pas
à Madame Bourbon j’en ai
pas la force.

Votre tout dévoué

Antoine Dubois

Pardonnez mon griffonnage je
suis à 080 mètres des boches
dans un trou d’obus [2]

puis

Le 1 – 11 – 18

Monsieur Madame

Sur la lettre du 30
que je vous ait adressé
je vous marquai que
sitôt que je saurai
l’endroit ou votre fils C[apitaine] Bourbon
serait enterré je vous le
ferait savoir. C’est hier
31 qu’il a été enterré
dans le cimetiere de
Avaux Aisne [3]
Beaucoup d’officiers
y assistaient

Sitôt que je pourrai
j’enverrai toutes ses
affaires à Madame
Bourbon. Pour
le porte feuille et le
porte-monnaie je
l’apporterai moi-même
en venant en permission
peut-être pas avant un
mois
Pauvre Capitaine
tous les soldats du
bataillon le pleure.
Votre tout dévoué [4]

Héroïsme, c’est finalement bien de cela dont il aura été question à l’époque :

Les jeunes enfants de nos confrères de Laborderie et Bourbon comprendront un jour la tragique destinée de leurs pères. Ils apprécieront à sa haute valeur leur héroïsme admirable et en recueilleront pieusement l’héritage.
Et nous, nous n’oublierons pas, dans ces vieux murs tout imprégnés d’histoire, sur ces substructions gallo-romaines, remparts élevés contre les invasions déferlant déjà de l’Ouest germanique, que nos morts furent les héros d’une épopée devant laquelle s’éclipsent les fastes sanglants de nos vieilles gloires. [5]

Robert Bourbon avait épousé Jeanne Fouilleul en 1910 à Thiers (63) : Mariage de Robert Bourbon et Jeanne Fouilleul à Thiers en 1910

Leurs filles jumelles (l’une d’elles est ma grand-mère maternelle) naquirent le 4 septembre 1914 à Bourges (18) : Danielle et Geneviève Bourbon

Robert Bourbon est décédé le 29 octobre 1918, dans la forêt de Recouvrance.

Notes

[1] Attribution de la croix de Chevalier dans l’Ordre National de la Légion d’Honneur à Paul Robert Bourbon, à titre posthume, le 1er octobre 1919 à Bourges.

[2] Lettre signée Antoine Dubois, adressée à M. Bourbon à Saint-Révérien, Nièvre.

[3] Avaux se situe en fait dans le département des Ardennes.

[4] Lettre signée Antoine Dubois, adressée à M. Bourbon à Saint-Révérien, Nièvre.

[5] Ordre des avocats près la cour d’appel de Bourges, Hommage aux Avocats du barreau de Bourges morts pour la France (1914-1918), Bourges, 1921, pp. 10-11.